L'AVC


Il est environ 21h30 quand Eric rentre du travail ce soir là. Moi, j'ai déjà mangé et je regarde la télé, "Disco" en attendant mon homme. Il mange devant la Télé, je me rappelle que c'était des choux de bruxelles avec des saucisses... C'est fou les détails sans importance dont on peut se rappeller, quand c'est le jour qui a changé votre vie.... Il mange donc, il me dit qu'il a mal à la tête. Je lui conseille de prendre du doliprane. Ensuite il va se doucher, et nous allons nous coucher. Je suis malentendante, j'ai retiré mes appareils auditifs mais nous échangeons encore quelques mots, puis j'éteins la lumière, il est 22h20.
Je lui pose sans doute une question, une dernière... mais je n'ai pas de réponses. Pourtant je sais qu'il ne dort pas, pas si vite et puis, je l'entends qui s'agite, qui soupire. J'entends sa respiration, plus forte comme un râle. Je ne sais pas pourquoi mais tout de suite, je sens qu'il se passe quelque chose. Comme un pressentiment. Dans ma précipitation, je tâtonne pour trouver l'interrupteur de la lampe de chevet. Je le trouve enfin et j'allume. Je me retourne pour regarder Eric. Il est tourné vers moi. Comment vous expliquer à quel point ce qui je vois alors me rempli de terreur. Eric me regarde, il a les yeux grands ouverts et je lis dans son regard une peur effroyable. Son visage est comme déformé et le côté droit est comme affaissé. Je le touche, je lui demande ce qu'il a. Il ne me répond pas. Il essaie mais pas un mot ne sort. Je m'agenouille sur le lit et le pousse sur le dos. Je constate à ce moment là que le côté droit de son corps ne bouge plus, il est comme désarticulé. AVC. Le mot éclate dans ma tête, me fait l'effet d'une bombe qui explose. Je lui dis : tu fais un AVC ! je sais qu'il comprend, il sait ce qui lui arrive. Son regard est rempli de douleur et de peur...
Aussitôt, j'attrape le téléphone. J'ai du mal à composer le 15 tellement je tremble. J'ai envie de pleurer mais ça reste bloqué dans ma gorge. Le standart du 15 puis une personne au bout du fil quelques secondes plus tard. Je lui dis que mon mari fait un AVC, je lui explique tous les signes et qu'il faut faire vite. Elle me dit qu'elle envoie immédiatement les secours. 30 mn d'attente. 30 mn pendant lesquelles je pense à m'habiller, j'enfile un pantalon de pijama à Eric également. Il essaie de se lever mais il n'y arrive pas, il est totalement paralysé du côté droit. Sa fille est là ce soir là. Elle entend le boucan et descend voir ce qu'il se passe. Je lui dis que son père fait un AVC. Je n'ai pas le temps de m'occuper d'elle. Elle me dira plus tard s'être assise sur les toilettes pour pleurer. Elle sera très courageuse ensuite, toute la nuit à mes côtés. Je rappelle les secours au bout de 20mn d'attente car je compte les minutes et je sais que chaque minute qui passe, c'est la mort de millions de neurones.....
J'allume partout dans la maison, pour qu'on la repère de loin car, nous habitons en pleine campagne. Enfin je vois les gyrophares en bas de la route.... Je sors pour les arrêter... Tout va très vite alors, pour moi c'est un peu confus. Ils prennent les constantes d'Eric, en rendent compte à un médecin par téléphone et ensuite ils le descendront sur une chaise, car le brancard ne passe pas dans l'escalier. Ils partent. Je rassemble quelques affaires et nous partons aussitôt mais leur camion est déjà loin. Eric se met à vomir pendant le transport, ce qui n'est pas bon signe, je l'apprendrai par la suite. Dans la voiture, je pense que je rêve. Passer une soirée tranquille et être balancé dans un cauchemar pareil, ce n'est pas possible, je dois dormir. Je conduis en mode automatique, je me rappelle à peine d'avoir roulé. Nous arrivons à la Cavale Blanche 40mn plus tard. IL doit être aux alentours de 23h45. Nous courons plus que nous marchons dans les couloirs. On m'indique qu'Eric est parti passer des examens et on nous conduit en salle de déchocage... Nous attendons en silence. J'ai envie de pleurer. J'ai envie de vomir.
Enfin un médecin vient nous voir. J'ai perdu la notion du temps et je ne sais pas quelle heure il est. Il nous prend à part, dans un coin de couloir, ou sont rangés quelques brancards. Il m'explique, que c'est très grave, qu'Eric a fait un AVC ischémique massif, que le cerveau a manqué d'oxygène.... tout se met à tourner autour de moi et je dois m'accrocher à un brancard pour ne pas tomber. Justine est là aussi et elle m'entend demander au médecin si Eric risque de mourir. Le médecin me dit que oui, le pronostic vital est engagé. Encore une fois, mes jambes ne me tiennent plus mais je reste debout malgré tout... Il nous explique qu'ils vont procéder à une thrombolyse, pour tenter de déboucher l'artère... Nous retournons en salle de déchocage, attendre encore...
Enfin une infirmière vient nous chercher. Elle nous conduit à Eric, qui va être installé en unité neurovasculaire. Je ne sais plus si nous accompagnons Eric lors de son installation ou si nous le trouvons déjà installé en chambre ? Ma mémoire me fera beaucoup défaut pour les jours suivants... Il est installé, branché, des bips, des lumières... Il est somnolent mais la thrombolyse lui donne des crampes et jusque vers 7h du matin, il s'agitera... La nuit est longue à ses côtés, je surveille sa tension, je surveille son rythme cardiaque... Justine ne dit pas grand chose, elle pose parfois des questions auxquelles je réponds souvent "je ne sais pas"... Vers 7h, son état est stationnaire mais il semble moins agité. Je décide d'aller ramener Justine chez sa mère, puis de rentrer à la maison, pour prévenir la famille. Vers 8h, j'appellerai sa sœur. Puis ma sœur. C'est la terre qui s'écroule. Je ne peux même pas les rassurer puisque moi-même, je sais que c'est très grave... J'irai m'allonger un peu, m'occuper de mes animaux, leur donner à manger et je repars pour l'hôpital à midi.
Quand j'arrive, la sœur d'Eric est là déjà ainsi que son père et Justine et sa mère. Valérie, la sœur d'Eric me dit alors que son état s'est aggravé et que les médecins sont très inquiets... Encore une fois, je perds le fil de ma mémoire, je ne me rappelle plus trop les évènements ensuite, j'ai perdu pied. Les médecins nous disent qu'Eric fait un œdème cérébral et que pour le sauver, il faut l'opérer. Nous donnons notre accord, Valérie et moi, pour qu'ils le fassent mais la décision finale ne nous revient pas... Nous sommes pendus à la décision des neurochirurgiens... L'après midi se passe lentement, nous nous relayons au chevet d'Eric et, quand je le regarde, je sens la vie qui part.... il s'éteint.... il n'ouvre presque plus les yeux, il n'en a plus la force. Je suis seule un moment avec lui. Je lui demande s'il veut qu'on l'opère. Il me fait oui. Vers 18h (je crois ?) enfin ils donnent leur aval. Eric va subir une hémi-craniectomie de décompression. Ils vont lui retirer une partie de la boite crânienne pour permettre au cerveau de gonfler, sans être comprimé. Je l'embrasse une dernière fois... j'ai peur que ce soit vraiment la dernière. La mort rode je la sens très près...
Nous allons attendre dans un autre salon, en soins intensifs... l'opération dure un certain temps, interminable... ma mère, ma sœur, mon beau-frère, sont arrivés dans la soirée. Je suis comme ailleurs, dédoublée. Ce n'est pas moi qui vit tout ça. Nous attendons en silence... les ners à fleurs de peau...Enfin, on vient nous dire que tout s'est bien passé et qu'il va être remonté en soins intensifs, et nous pourrons le voir à ce moment là. Ils nous préviennent qu'il est intubé et qu'il a un gros bandage sur la tête. Que ça peut nous impressionner.
Quand je le vois, mon homme... sur ce lit.... quand je le vois, mon cœur se déchire, j'ai mal dans la poitrine... Intubé, des fils qui sortent de partout sous sa chemise ouverte, le bruit du respirateur, les machines, les drains... je lui prends la main. Il se réveille déjà nous a t'on dit. Ils n'ont pas jugé bon de le plonger dans le coma, car il a bien réagi à l'opération. Il ouvre un peu les yeux. Ses enfants viennent le voir, sa sœur, son père.... jusqu'à minuit nous restons, puis nous devons partir... Je ne me rappelle pas comment je suis rentrée. Si j'ai dormi. Si j'ai mangé. Je ne sais plus. Je me rappelle les choses par flash, des images... j'ai disjoncté ces quelques jours de ma tête... Eric restera en soins intensifs du vendredi au lundi. Le lundi après-midi, il est transféré en neurochirurgie.
 
Eric aux Soins Intensifs, le dimanche
 
Nous passerons la semaine dans ce service. Il récupère bien de l'opération. Mais l'aphasie est toujours totale ainsi que l'hémiplégie. Ca me fait très peur. Au début, il mange en mouliné et ne bois que de l'eau gélifiée. Ensuite ils vont tester l'eau gazeuse, qu'Eric déteste. Il mangera ensuite des petits morceaux et se débrouille bien, malgré qu'il doit le faire de la main gauche (Eric est droitier). De plus, sa bouche est partiellement paralysée donc il a du mal à viser, à garder l'alimentation dans sa bouche.... cela me fait très peur aussi.... voir mon homme, si diminué... lui, si fort avant, si faible maintenant.... mais je n'écoute pas ma peur, j'essuie le coin de sa bouche, comme si de rien n'était...
 
Le volet crânien retiré a été placé en nourrice dans son abdomen. Il voudrait s'assoir mais, d'une part, cela lui fait mal et d'autre part, les infirmières ne veulent pas. Je le retrouverai quand même assis au bord de son lit, un début d'après midi. J'attrape peur et le "gronde". Mais Eric a du caractère et a décidé d'être assis. Quand l'infirmière rentre, et nous voit assis tous les deux au bord du lit, elle manque de faire une syncope.
Les problèmes "organisationnels" vont débuter le mardi... je m'inquiète de ne pas voir de kiné ou d'orthophoniste autour d'Eric. Je demande aux infirmières et on m'informe qu'il n'y a ni kiné, ni orthophoniste intervenants à ce moment là dans le service. Quand on sait que la rééducation doit commencer au plus tôt après l'avc, je frole la crise de nerf. On me dit d'écrire à la Direction, ce que je fais le soir même. Je n'aurai de réponse que quelques semaines plus tard.... trop tard, Eric est déjà à Roscoff.
 
Autre problème d'ordre plus personnel mais qui m'a également outré. Je suis aide-soignante et -déformation professionnelle- je m'inquiète de savoir auprès du personnel si Eric est allé à la selle, depuis une semaine qu'il s'alimente, car il me fait comprendre qu'il a mal au ventre. Personne ne peut me répondre. Le jour suivant, je rentre dans sa chambre et je vois à sa tête que quelque chose ne va pas. Je met du temps à comprendre mais, quand je soulève le drap, je soulève également ce qui pose souci : Eric est joliment doté d'un change complet. (pour ceux qui ne savent pas ce qu'est un change complet, on peut également dire, une couche, avec des scotchs sur les cotés... au secours...). Je repose le drap. Je sors de la chambre, en fureur et je chope la première personne que je croise. Je lui demande pourquoi mon mari a une protection et elle me répond qu'ils lui ont fait un lavement. Je lui explique alors qu'Eric est capable de sonner pour les alerter. Et qu'il est aussi capable d'aller sur le Montauban (encore de vocabulaire de soignant : c'est un siège, doté d'une ouverture et d'un seau amovible en dessous), avec l'aide de 2 personnes. Elle me répond que non. Je lui dis alors que je le mettrai toute seule si on m'envoie un Montauban, que je suis aide-soignante moi-même et que j'ai l'habitude de mettre des personnes beaucoup plus difficile qu'Eric sur les toilettes.
Dans les 5 minutes, un Montauban arrivait en express dans la chambre. Eric allait beaucoup mieux 30 mn après. Moi aussi.
J'ai insisté fortement pour qu'Eric parte rapidement à Roscoff, en réadaptation, le plus rapidement possible, puisque aucune prise en charge kiné et ortho n'était proposée. Le personnel en général, a été très gentil, malgré les couacs... Ce qui nous a manqué, c'est de parler.... de l'accident. Du traumatisme. De la brutalité de la chose. Et évacuer notre peur...

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